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Je décrisse de Twitter – bilan 2012-2023
by Umzidiu Meiktok on Juil.16, 2023, under Géneral
J’ai rejoint Twitter à la toute fin de la grève étudiante de 2012, dans l’objectif unique de répondre à un commentaire absolument nauséabond d’un éditorialiste de La Presse. Twitter commençait alors à peine à devenir un outil politique intéressant (on se souvient par exemple de la couverture des émeutes britanniques en 2011). 140 caractères, c’était évidemment trop peu, et les fils de tweets étaient tout sauf commodes pour moi – il a fallu que je m’y fasse.
Je préférais encore la formule blog + page facebook. J’ai tweeté à l’occasion pendant quelques années avant de comprendre la valeur de Twitter, qui permet d’interpeller des personnalités publiques de manière bien plus efficace que les autres réseaux sociaux et «d’accrocher l’oeil» de gens qui ne sont pas nécessairement abonné-e-s. Twitter a une manière particulière de créer la viralité et de générer des abonnements, et ça a fini par me plaire (quoique après plusieurs années d’utilisation seulement). Cette manière de faire est de l’avis d’à peu près tout le monde à l’origine de la toxicité extrême de Twitter. Plusieurs se disent fatigué-e-s du climat dégueulasse qui règne là-bas depuis l’arrivée d’Elon Musk, mais on sait également très bien que c’était désastreux avant ça, avec des algorithmes qui favorisent la droite et des personnalités, particulièrement des femmes noires, qui se font harceler en permanence.
On pourrait suggérer que l’arrivée de Musk à la barre de Twitter a rendu le réseau social invivable même pour les hommes blancs (de gauche et de centre-gauche surtout). En ce qui me concerne personnellement, je pense que l’affichage de mes pronoms iel/they a été un facteur assez déterminant dans mon expérience du harcèlement. Depuis, les insultes visant ma santé mentale se sont multipliées.
Malgré ce climat d’acide bouillant, je me suis fait quelques ami-e-s et un nombre impressionnant d’allié-e-s. Ces alliances et amitiés qui sortaient souvent de ma chambre d’échos (je compte même des gens de centre là-dedans) ont eu un impact dans ma vie réelle. C’est d’ailleurs pour cela que je ne suis pas réfractaire au principe de Twitter. Je pense que Twitter a aidé beaucoup de gens à trouver leur famille – notamment les personnes 2SLGBTQIA+ – et a pu en partie contribuer à déconcrisser l’entre-soi de certains cercles. Mais Twitter a aussi largement contribué à plonger des centaines de milliers de personnes vulnérables dans des spirales délirantes et haineuses.
Cela dit, la toxicité du Twitter muskien ou pré-muskien n’a rien à voir avec mon départ.
J’essaie au possible d’être pragmatique: lorsque j’ai quelque chose à dire, je vais où les gens sont, flot d’insultes ou pas. Je trouvais utile non pas de débattre avec, mais de mettre la droite et l’extrême-droite dans l’embarras sur leur propre terrain de jeu. Je pense que des comptes comme @letroupeauQc et Sortons les radios-poubelles de Québec, pour ne nommer qu’eux, représentent une dépense d’énergie significative pour l’extrême-droite québécoise, une épine profondément plantée dans le pied de sa crédibilité.
Si je pars de Twitter, c’est parce que j’évalue maintenant, à l’instar d’Anne Archet (qui a fermé son compte pour de bon), que ma présence ne fait que contribuer au financement de la haine.
Ma décision s’est prise graduellement. J’ai beaucoup détesté l’arrivée des comptes payants certifiés ainsi que leurs privilèges, mais j’ai fini par passer l’éponge. Puis, des comptes de néonazis ont été réactivés. Puis, les publicités invasives à la fin des threads. Je me suis dit que je m’y ferais en faisant ce que je fais toujours ailleurs: en installant de meilleurs bloqueurs de pubs, en dénonçant et en bloquant les nazis.
Le versement arbitraire d’une part des revenus publicitaires à des influenceurs d’extrême-droite m’a finalement fait basculer. Vraisemblablement, même Andrew Tate a pu bénéficier de cette nouvelle fonctionnalité, récoltant un total de 20 000$.
Twitter s’est abondamment nourri sur le dos de nos efforts collectifs pour en arriver là. Mes stats à moi ne sont pas impressionnantes. Au cours des derniers 12 mois, mes tweets ont reçu en tout un peu plus de 1,5 million d’impressions. Mais sous mes tweets se trouvent des publicités de plus en plus invasives. Et je sais quelle valeur marchande ça peut avoir, un million d’impressions. Je sais qu’à la gang, en générant ces milliards d’impressions, on contribue à ralentir la chute d’Elon Musk. Twitter étant un fiasco financier, ça me dérangeait pas trop, au départ. Mais depuis que les fachos ont réussi à tendre la main en-dessous du robinet à argent, ça me gêne un peu plus.
Le capital qu’on contribue à générer allait jusqu’à récemment en partie payer le loyer d’un building et le salaire d’une équipe amaigrie. Maintenant, c’est autre chose. C’est pire qu’avant. Ça ne s’améliorera pas. Donc. Je vais cesser mes activités sur mon compte Twitter dès les prochains jours. Je ne vais pas effacer mon compte. Mais je vais plus venir.
Parce que le Twitter d’Elon Musk doit couler au plus vite.
Ce n’est pas ma première migration. J’ai eu un Myspace, un Skyblog, un Blogspot, deux noblogs. Ça ne va pas me perturber plus qu’y faut. En attendant que les réseaux se recréent organiquement, vous pourrez me suivre sur Mastodon, un réseau social en open source, sans publicité, décentralisé et en croissance.
Je vous encourage à profiter de la confusion actuelle pour recréer vos réseaux dans des espaces qui ne sont pas capitalistes ni détenus par des entreprises privées. Les réseaux à but lucratif les plus «éthiques» seront un jour rachetés par un autre géant, et on se retrouvera de nouveau les culottes à terre.
La justice peut pas t’empêcher d’être un.e enfoiré.e
by Umzidiu Meiktok on Oct.31, 2021, under Droits et libertés, Géneral, Politique
Un Texte de Ciguë Pardon
La décision rendue hier par notre illustre cour suprême (qui s’est courageusement penchée deux fois plutôt qu’une sur la couleur de la margarine, dois-je le rappeler) est venue blanchir Mike Ward.
En effet, selon les 5 juges majoritaires (sur 9), les propos tenus à l’endroit de Jérémy Gabriel ne constituent pas une discrimination basée sur le handicap. La phrase la plus importante de l’arrêt est la première phrase des motifs majoritaires : « Le présent pourvoi porte sur le cadre juridique applicable à un recours en discrimination ». C’est uniquement de cela dont il s’agit : on se demande finalement si le bon recours a été entrepris.
Je vous épargne les détails juridico-nerds : je présume que mon enthousiasme à ce sujet n’est pas universel. Disons simplement que les juges majoritaires en viennent à la conclusion qu’il y a trois critères pour que le recours employé par Gabriel soit gagnant et que ces critères ne sont pas réunis. Or, presque tout le monde est d’accord pour dire que Mike Ward est un enfoiré de classe internationale. Alors pourquoi on en arrive à cette situation de marde? Ce n’est qu’une hypothèse, mais j’avancerais ceci: notre système juridique est un labyrinthe élitiste obscur (même pour les professionnels qui pataugent dedans), mais surtout absolument inaccessible financièrement pour la majorité des Québécois.es. Si t’es un enfoiré qui commet des gestes criminels, la Reine elle-même va peut-être se mettre en branle pour te poursuivre (faisant joyeusement revivre aux victimes et aux témoins un total calvaire devant les tribunaux, mais bon : ya rien de parfait). Cependant, si t’es un enfoiré qui commet des fautes civiles, ça repose malheureusement sur les épaules des victimes de recourir aux services d’un (ou plusieurs!) avocat pour les protéger.
Je lance au passage qu’ils sont plus de 28 000 au Québec seulement et que leurs tarifs ne sont pas nécessairement proportionnels à leur talent, malgré ce que le barreau peut bien en dire. T’as pas d’argent, tu veux de l’aide juridique? Erreur: l’aide juridique c’est pour les matières familiales et criminelles (pis t’as besoin d’être pauvre en criss). Quand je dis que la justice peut pas t’empêcher d’être un enfoiré, je ne veux pas dire que la justice est impuissante – je veux plutôt dire que les acteurs qui désirent obtenir justice le sont. Ça mène au même résultat bien sûr, mais si ya ben une chose à tirer du jugement de la cour suprême c’est pas les critères hautement capricieux du recours en discrimination, ni même le fait que les juges majoritaires reconnaissent du bout des lèvres que l’humour de Mike Ward est discutable voire nul à chier (ils sont plus diplomates que moi) – l’affaire à retenir c’est que pour obtenir justice, faut que tu te lèves vraiment de bonne heure, en faisant toutes les pirouettes et acrobaties possibles, après avoir vendu ta proverbiale chemise pis ptet un bras et quart – et après ton parcours du combattant, ben le résultat reste aléatoire.
La vengeance des porcs, onze ans plus tard
by Umzidiu Meiktok on Mar.12, 2020, under Géneral
En 2009, les cochons domestiques sont soudainement devenus l’ennemi public numéro 1. Car ces pauvres bêtes à la queue et aux oreilles mutilées, torturées à la matraque électrique, bourrées d’antibiotiques, concentrées dans des usines puantes et trucidées par millions méditaient depuis des lustres leur vengeance. Cette année-là et la suivante, le A H1N1 a fait des milliers de morts. Une tentative moins fructueuse que la grippe espagnole qui l’a précédée (aussi une grippe porcine, qui a anéanti entre 2,5 et 5% de la population humaine mondiale), mais les efforts restent louables.
Lors de cette pandémie, j’ai senti beaucoup plus d’exaspération que de terreur, notamment devant les théories de conspiration concernant le vaccin. L’incapacité de beaucoup à poser des gestes simples, tels que tousser dans son coude et se laver les mains me mettait également hors de moi. Mais aussi l’incapacité de faire le lien entre l’élevage industriel et les pandémies mondiales. Près de vingt ans après le SRAS, la population est encore convaincue qu’il est possible et même souhaitable d’élever de manière totalement aseptisée et au sein de poulaillers de la taille d’un Wal Mart deux cent mille volailles qui passent leur vie (heureusement courte) à se chier sur la tête.
J’ai eu une pensée pour ces oiseaux déplumés lorsque j’ai vu, tout à l’heure au Maxi, un homme blanc dans la soixantaine déposer huit paquets de cuisses de poulet sur le tapis roulant et passer tout près de la crise de nerfs en raison de l’absence de la caissière, partie chercher deux nouvelles caisses de papier-cul à 5$.
La nouvelle crise n’est pas fondamentalement différente des précédentes : elle est (fort probablement) causée par notre empiètement sur les milieux naturels, notre tendance à vouloir toucher des animaux vivants et manger des animaux morts. Reste à connaître le responsable. Serait-ce une caresse faite au paisible pangolin, victime massive de braconnage en Chine? Ou à la chauve-souris, dont les populations nord-américaines ont été décimées par l’introduction (vraisemblablement par le biais de l’être humain) d’un champignon?
Le comportement au mieux insouciant de nos sociétés envers la nature est le reflet parfait du sort qu’on réserve à nos congénères humains. Le surtourisme, qui cause la dégradation du milieu de vie de millions de locaux, est un problème en soi. Mais ses conséquences sont d’autant plus visibles maintenant qu’il est définitivement relié à la propagation de la Covid-19. On alléguait[1], il y a quelques jours, que des Européen-ne-s tentent d’ailleurs de fuir leur pays et de menacer l’Afrique, jusqu’à maintenant relativement épargnée par la pandémie. À Paris, un match de soccer étant joué en huis-clos, les fans ont décidé de se masser à l’extérieur du stade. Et que dire de la réaction totalement irresponsable des États-Unis, où des citoyen-ne-s ont dû payer, au cours des dernières semaines, plus de mille dollars pour se faire tester?
Une journaliste de Radio-Canada demandait naïvement, ce matin, si elle devait annuler son voyage au Mexique, prévu pour la fin du mois. L’argument qui semble avoir le plus atteint son but est une variante semi-sérieuse de « si tu fais ça, tu risques de devoir passer quatorze jours en isolement, et sans Wifi ». Ça tient d’une logique aussi idiote que celle qui fut à l’origine de la croisade historique de vacanciers/ères contre la météo. Rappelons qu’à l’automne dernier, les passagers/ères d’une croisière avaient collectivement fait la danse du bacon afin de dénoncer leur expérience infernale, marquée par de la pluie et du vent. Même publiquement, c’est encore visiblement de bon ton de se plaindre de ses vacances gâchées par la mort appréhendée de milliers de personnes.
Pauvre, pauvre petite bourgeoisie qui ne pourra pas assister au dernier match du Canadien, partir en croisière dans les Caraïbes et se faire dorer sur une plage de République dominicaine pendant qu’en bas on meurt. Pauvre classe moyenne, déjà menacée il y a quelques temps par une pénurie de Jell-O et de ketchup, à nouveau contrainte dans ses habitudes de consommation. Voir tout ce magnifique univers tourner, dans la panique ou dans l’insouciance, me donne envie de me transformer en cochon domestique.
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[1] J’appuie sur ce verbe car les sources ne semblent pas totalement fiables.
Buzzkill et ses personnages
by Umzidiu Meiktok on Oct.07, 2019, under Culture
Il semble bien que Bruno Massé, l’auteur de Buzzkill, paru récemment chez Québec Amérique, se soit pris d’affection pour les méchant-e-s. Ses deux romans précédents s’intéressaient d’assez près à des anti-héros au caractère assez détestable: dans M9A, il donnait beaucoup d’espace à une policière impitoyable et dans Creuse ton trou, c’était à un lobbyiste perdu dans une petite communauté du Nord qu’il s’intéressait le plus. Les deux romans laissaient toutefois espérer une sorte de rédemption, un changement brutal de perspectives. Dans le cas de Creuse ton trou, on ressent un certain plaisir à voir le protagoniste torturé par les circonstances: sa voiture de luxe est accidentée, la population est ingouvernable et ses objectifs sont inatteignables. Dans M9A, on assiste à la lente prise de conscience d’un personnage dont l’existence se révèle médiocre et malheureuse. Le schéma reste le même: les méchant-e-s ont un bon fond mais illes ont été corrompu-e-s par leur fonction au sein de la société.
Ces personnages s’inscrivaient assez bien dans une tendance générale. La fiction nous a en effet habitué-e-s à faire la rencontre d’antihéros cyniques, asociaux et solitaires, dont les blessures mal cicatrisées expliquent les comportements toxiques. Mais dans Buzzkill, il est plus difficile de développer un tel sentiment d’empathie pour les protagonistes. Tout d’abord parce que les trois personnages principaux n’ont jamais été profondément blessé-e-s. Ce sont trois jeunes adultes « fin vingtaine, début trentaine » dont la carrière explose soudainement: Océane est une autrice à succès, Marcus un jeune comédien/politicien/marionnette aussi vide que populaire, Gaspard un designer de jeux vidéos qui fait fortune grâce à un mod. Illes sont toustes trois convaincu-e-s d’être de « bonnes personnes »… et d’avoir du mérite. Alors que tout explose autour d’elleux, illes demeurent totalement aveugles et indifférent-e-s au sort de l’humanité, enfermé-e-s dans une bulle d’insignifiance et de vanité. L’esthétique, en tant qu’élément narratif, est d’ailleurs parfaitement adapté à la vacuité des personnages: l’univers de Buzzkill est un monde de hipsters passés date qui brandissent, comme symbole ultime de leur identité, le téléphone cellulaire rose-doré (ou « golden pink », d’où la couleur de la page couverture).
Après cent pages, on veut déjà les voir mourir dans d’atroces souffrances. Car si pour certain-e-s lecteurs/trices, ce sont des caricatures un peu grossières et risibles, pour celleux qui sont passé-e-s par les mouvements sociaux, ce sont des collègues, des proches ou de simples passant-e-s rencontré-e-s mille fois. La réalisation de ce portrait détaillé, même s’il est trop lisse pour être parfaitement réaliste – et l’objectif n’est d’ailleurs pas de l’être – est l’une des plus belles réussites de ce roman.
En outre, Buzzkill est un roman accessible qui ne s’embarrasse pas de références prétentieuses. Il s’attaque à des styles de vie sans s’attaquer à des générations. Il pourfend tant le populisme de droite que certaines égéries de la gauche modérée (on reconnaît par exemple Xavier Dolan à travers le personnage de Lüdøvik). Il est campé dans un présent qui n’a rien de fantasmé. Il évite, en bref, toute une série de pièges posés par les principales tendances littéraires de la fin de notre décennie.
Projet Montréal et partisanerie
by Umzidiu Meiktok on Jan.13, 2018, under Géneral, Politique
Je trouve idiot que les bourgeois-es paniquent parce qu’illes seront taxé-e-s de 200$ de plus par année sur leur manoir, mais j’ai également été exaspéré par la gauche molle qui défend actuellement férocement Valérie Plante avec des arguments complètement ridicules, du type « On va payer la Ligne Rose avec ça » ou encore « il faut se rappeler que plein de gens ont pas accès à la propriété ». Une position assez bien illustrée par un texte de Céline Héquet publié sur Ricochet. Égale à elle-même, elle en profite pour souligner le fait qu’elle possède plusieurs blocs et qu’elle paye plus de 1000$ par année en cours de yoga.
Il y a pourtant des objections très faciles à opposer à ça:
1. La Ligne Rose est encore au mieux un projet improbable, une promesse électoraliste qu’on commencera certainement pas à payer aujourd’hui grâce à l’augmentation de taxes foncières. (C’est un peu comme le Mur de Trump finalement.)
2. Les références, par la gauche petite-bourgeoise, aux gens qui ont pas accès à la propriété, c’est aussi utile que de parler des pauvres gens qui n’ont pas de Porsche. Ce qu’on veut (et j’inclue une bonne partie de mes ami-e-s et proches là-dedans, je pense) passe de fait dix pieds au-dessus de la tête de la petite bourgeoisie de gauche. Et on sait très bien que la Ligne Rose signifierait la gentrification massive de toutes les zones à proximité des stations. C’est un projet qui va bénéficier énormément, peut-être même principalement à la gauche petite-bourgeoise.
3. Ben beau pour les gens qui possèdent une maison, ils vont avoir plus de misère à refiler la facture à quelqu’un d’autre. Mais pour les proprios d’immeubles à logements…
J’ajouterais que celleux de la gauche qui défendent becs et ongles les errances de Projet Montréal et d’autres régimes de gauche (parfois même en suggérant qu’ils devraient simplement changer leur équipe de comms) me font penser à certain-e-s fans vraiment trop enthousiastes du Canadien. Que le Canadien gagne ou perde, nos vies ne changeront pas. Le pain d’épice ne se mettra pas à tomber du ciel. Mais la victoire en rend tout de même plusieurs extatiques. On sait pareillement que les gouvernements de centre-gauche accueillis dans l’hystérie offrent généralement assez peu au-delà du statu quo. Ces régimes en déçoivent beaucoup, mais il reste toujours des légions de fanatiques pour les défendre.
Dans le genre d’arguments qu’on me présente – et même si une augmentation de taxes foncières n’est pas nécessairement scandaleuse – je peux donc juste voir le symptôme de la partisanerie la plus bête et servile. Un luxe que s’offrent les gens pour qui la politique revient à élire des leaders auxquels ils peuvent s’identifier, comme les fans du Canadien s’identifient à Carey Price. Ces gens-là se satisfont en général d’un changement dans la décoration. L’élection de Coderre ou de la CAQ, ce serait une tragédie pour leur ego avant tout autre chose.
Combien de membres dans La Meute?
by Umzidiu Meiktok on Sep.03, 2017, under Géneral, Politique
C’est après avoir passé plus d’un an à lire des islamophobes sur les réseaux sociaux que je me décide enfin à écrire quelque chose sur les militant-e-s racistes typiques qui grossissent les rangs de La Meute et d’autres nébuleuses du même genre. Xavier Camus, avec le soutien de beaucoup de monde, a déjà fait le travail de connecter pas mal de points.
Je n’ai pas d’étude chiffrée à présenter (tout compiler prendrait un temps considérable) mais je pense pouvoir donner quelques impressions assez nettes sur ce qui se passe dans la fachosphère québécoise. Commençons par tenter d’estimer les forces vives d’un de ces groupes-là.
Plus de 60 000 membres dans La Meute? Vraiment?
C’est la prétention des propagandistes de l’organisation. Ce nombre additionne en fait les membres du groupe Facebook public de La Meute (19 000 membres), accessible à tous et à toutes facilement, et les membres du groupe « secret » de La Meute (45 000 membres). Ça peut paraître beaucoup, mais rappelons que le Parti Libéral du Québec a 44 000 mentions « j’aime » et son équivalent fédéral 300 000. Quand les leaders de La Meute affirment qu’ils ont « plus de membres » que le Parti Libéral (qui sont 30 000), il faut prendre ça avec un grain de sel. Pour être membre du PLQ, il faut payer une cotisation – quoique très réduite – et avoir une carte de membre. On est loin du simple clic occasionnel. Recevoir autant de mentions « j’aime » ou d’abonnements, ce n’est d’ailleurs pas du tout un exploit pour une organisation politique : la CAQ a 45 000 « j’aime », Québec Solidaire 75 000 et le PQ 170 000. La différence est dans le mode d’inscription. On ne peut pas « aimer » la page de La Meute : il faut devenir « membre » d’un de ses groupes Facebook pour recevoir de ses nouvelles.
Évidemment, dans les « 60 000 » membres, il y a:
-des doublons (faux comptes);
-des membres inactifs-ives (la vaste majorité);
-des membres « observateurs/trices » qui ne partagent pas du tout les opinions de La Meute (Stéphane Berthomet, par exemple, a déjà été membre de La Meute);
-des membres « accidentel-le-s », qui acceptent les invitations à l’aveuglette (dont plusieurs personnalités qui ont été informées en privé et qui se sont immédiatement désabonnées);
-et finalement des doubles ou triples abonné-e-s (membres de La Meute publique, du « Wolf Pack » canadien, et membres du groupe secret)
Il y a un an, Éric Venne, l’ancien chef, affirmait qu’il y avait déjà « plus de 45 000 membres » au sein de La Meute. En mars 2016, c’était 35 000. La grande majorité des « membres » ont été accepté-e-s dans les premiers mois de l’existence du groupe, sans qu’aucune vérification ne soit faite, et avant que l’organisation ne bénéficie de la publicité qu’elle a aujourd’hui. On a pratiquement invité n’importe qui. Ami-e-s d’ami-e-s, personnalités publiques, politicien-ne-s… Richard Martineau a lui-même été ajouté « à son insu », malgré la parenté idéologique apparente.
Au cours des derniers mois, le groupe secret n’a pas connu autant de croissance qu’au départ : on filtre désormais un peu « mieux » les demandes. En date d’aujourd’hui, il y a 44 505 membres dans le groupe secret de La Meute. Et s’il y a stagnation (sans doute partiellement volontaire) du nombre de membres, ce n’est pas pour rien. Certains des fils les plus populaires recueillent plus de 300 commentaires. Or La Meute sait très bien que plusieurs dizaines de taupes les scrutent. La situation peut facilement devenir incontrôlable – elle l’est déjà pas mal, parce qu’empêcher tout ce monde-là de vomir des incitations à la haine, parfois même au génocide, c’est une tâche difficile.
La Meute pourrait supprimer tous ses membres inactifs-ives. Les posts les plus populaires recueillent presque toujours moins de 900 likes, et ça ne va pas en s’améliorant. Sous le despotisme d’Éric Venne, le rapport membres actifs-ives/inactifs-ives était vu comme un grave problème. Le chef de l’époque tonitruait couramment contre l’absence d’implication dans les rangs de La Meute. Le 12 juillet 2016, il affirmait même qu’il ne voulait « pas donner le go à un tel mouvement si je ne suis pas assuré d’avoir 5 000 personnes dans la rue à mes côtés ».
Mais avec le temps, la masse d’inactifs/ives est devenue la principale force de La Meute. Une sorte de « majorité silencieuse » qui consent en se taisant, un nombre immense qu’on peut brandir à bout de bras en hurlant « nous sommes le peuple ». Comme les membres de La Meute qui prennent la parole s’enfargent plus souvent qu’autrement dans leur propre barbe, le silence presque général a quelque chose de très commode. Ce n’est pas une stratégie particulièrement nouvelle: on se souvient que sous le gouvernement conservateur de Stephen Harper, on préférait cacher certain-e-s des député-e-s les plus réactionnaires, pour ne pas nuire aux relations publiques.
Quel est leur véritable nombre?
Un-e geek en informatique ou un-e infiltré-e pourrait sans doute réussir à obtenir quelque chose de précis des données disponibles sur le web. Je ne suis ni l’un ni l’autre. Mais pas besoin d’avoir fait des années en stats pour comprendre que les données fournies par La Meute sont fantasques et gonflées. L’échec retentissant de la manifestation du 20 août dernier en est un excellent exemple. Les estimations de la taille réelle de la foule varient de 300 à 500 personnes. Les leaders de La Meute ont fourni des chiffres de loin supérieurs. Dans tous les cas, on est loin du « 5 000 » privilégié par Éric Venne. Et ce n’est pas parce que les gens de La Meute n’ont pas fait de mob. Suite aux semaines de propagande, ils se sont d’ailleurs sentis « épuisés ». Et le contexte était favorable : l’arrivée de milliers de personnes sur la frontière canadienne, la controverse autour du cimetière musulman de Saint-Apollinaire et l’entière actualité des derniers mois auraient dû servir de tremplin à la mobilisation. Comme elle le fait toujours d’ailleurs : l’attentat mortel de Charlottesville a lui-même conduit à la mobilisation de plusieurs centaines de personnes à Montréal, quelques jours après l’évènement. Il est à noter, également, que la manifestation contre La Meute était plus massive que l’obscure parade qu’elle visait à dénoncer.
L’hypocrisie des leaders de La Meute est foudroyante. Les membres du groupe public ne peuvent pas commenter sur la page et n’ont accès à aucun privilège. On leur dit pratiquement, en pleine face, qu’illes ne sont pas de vrai-e-s membres de La Meute. Mais on les compte dans le nombre total de « membres », quand il est temps de se présenter aux journalistes comme une organisation crédible. Un utilisateur de Twitter, @LetroupeauQC, faisait remarquer récemment que si on additionnait seulement les membres des clans régionaux, on arrivait à un nombre total de 4000 membres environ, dont plusieurs sont entretemps devenu-e-s inactifs/ives. Où sont les 56 000 autres? Malgré les incitations répétées à s’inscrire dans ces sous-groupes, il est difficile pour La Meute de faire bouger ses membres, même sur Internet.
Ce qui est certain, c’est que le coeur de La Meute, qui est actif soit dans la vie matérielle, soit sur les réseaux sociaux, ce n’est pas « le peuple », ce n’est pas « 60 000 » membres, mais c’est tout de même plusieurs centaines d’individus qui s’y impliquent, et/ou qui s’impliquent dans d’autres organisations. Nous aurons peut-être l’occasion de s’intéresser à elleux bientôt.
Retour sur la « barbarie »
by Umzidiu Meiktok on Août.02, 2017, under Culture, Géneral
Si vous tombez sur cet article parce que vous avez cliqué sur une publication d’Yves Claudé: prenez bien soin de lire les deux paragraphes suivants. Sinon, je vous encourage à poursuivre votre lecture.
Pour votre information, M. Claudé me harcèle ponctuellement depuis carrément 2012. Je n’ai pratiquement jamais eu d’échange avec lui depuis cette époque afin de ne pas le provoquer. En résumé, il m’accuse d’avoir «planifié» la manifestation de Victoriaville de mai 2012 – qui a très mal tourné, faisant de nombreux/ses blessé-e-s parmi les manifestant-e-s. Ce n’est pas crédible, en partant: je n’avais pas d’influence au sein du mouvement étudiant en 2012 et je n’étais pas à Victo le jour du rassemblement (ni avant, ni après). C’est cependant le reste de sa théorie qui est la plus perturbante. Selon lui, je serais carrément protégé-e par la police ou Radio-Canada (ça change d’un tweet à l’autre). Pourquoi? Parce que j’aurais été investi-e d’une mission secrète (M. Claudé, en 2017, mentionnait le SCRS comme mandataire) consistant à faire dégénérer la manifestation. Convaincu de l’importance de me dénoncer à toute la population du Québec, entre le 2 mars et le 5 mars 2023, il a écrit une quarantaine de publications sur facebook et sur Twitter, m’associant à d’autres personnes, publiant des photos et des informations personnelles également fausses. Il affirme aussi que j’aurais été identifié-e dans un reportage d’Enquête. Or, ni mon nom, ni mon pseudonyme ne sont jamais apparus dans un reportage d’Enquête.
M. Claudé n’a jamais fourni la moindre source permettant de soutenir ces accusations. Il sort cette histoire-là de nulle part mais tient à sa version dur comme fer (quoique des détails importants changent selon son humeur). C’est la théorie de conspiration la plus étrange à laquelle on m’ait associé-e de toute ma vie (et j’en ai vu). Je ne suis cela dit pas la seule personne à faire les frais de la paranoïa de M. Claudé. Au cours des dernières années, il a visé beaucoup d’autres activistes de gauche et/ou LGBTQ qui n’avaient rien demandé, toujours en lançant des accusations bizarres et pour tout dire, délirantes. Au moins une organisation a été forcée de lui envoyer une mise en demeure.
Nb: le texte ci-dessous, qu’il ne s’est visiblement pas donné la peine de lire, contient une critique sévère de la mutilation génitale, et non un encouragement à tolérer cette pratique.
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Le gouvernement libéral de Trudeau a retiré l’expression « barbare » du Guide de citoyenneté, qui est remis aux personnes immigrant au Canada. J’en parle parce que l’affaire s’est rendue jusqu’en France après que Richard Martineau ait éructé sur le sujet.
Les détracteurs de Trudeau en font un débat sur la sacralité du discours, beaucoup plus que sur la condamnation, dans les faits, d’une pratique. Dans le débat public, et surtout chez les politicien-ne-s, l’exécration doit être accompagnée d’un certain décorum. L’obsession de l’utilisation généralisée d’un certain vocabulaire prend de telles proportions qu’elle en devient ritualisée. « Pratique culturelle barbare » est en fait une imprécation, une formule magique. Vade retro satana! Voilà pourquoi, en 2011 d’ailleurs, on avait déjà harcelé Trudeau jusqu’à ce qu’il qualifie finalement l’excision de « barbare ». À en croire certain-e-s, le soleil ne se serait pas levé le lendemain si le rituel ne s’était pas accompli correctement, et tous/tes les Canadien-ne-s se seraient immédiatement réveillé-e-s sans clito.
En ce qui me concerne, et contrairement à Richard Martineau, je ne crois pas à la magie. Ni à la conjuration du mal par des formules rituelles. Plusieurs initiatives contribuent à combattre l’excision, mais rien ne permet d’affirmer que la qualifier de « barbare » fait partie de ce nombre.
Ce qui est civilisé et ce qui ne l’est pas
En répondant à un article de Mathieu Bock-Côté, il y a quelques années, je suis allé prétendre que l’excision était une pratique « civilisée », selon la définition que cet intellectuel propose généralement. C’est-à-dire que la pratique fait intégralement partie du processus civilisationnel, selon lequel il faut empêcher la transgression des normes sociales. Dans ce cas-ci, il s’agit de décourager le sexe hors mariage et de préserver l’honneur familial. Or, c’est à travers les mariages arrangés que les dominants se reproduisent, et qu’ils peuvent prospérer jusqu’à former une caste héréditaire. En civilisation, plus besoin de démontrer une force brute supérieure pour écraser : il suffit d’être né-e au bon endroit, de bien maîtriser les codes et de préserver les alliances. La civilisation est née, et cela fait (encore) consensus chez la plupart des anthropologues et historien-ne-s, de la hiérarchie. Illes sont d’ailleurs maintenant assez nombreux/ses à dire que le sacrifice humain a également permis un développement civilisationnel accru et qu’il était orchestré par l’élite afin de maintenir son pouvoir[1].
Le sacrifice humain et la mutilation génitale, c’est ce qu’on considère généralement comme des « pratiques barbares », mais elles forment en fait un des fondements de nos civilisations.
À l’opposé, on pourrait soutenir que c’est l’assouvissement du désir qui est non-civilisé, l’absence de structure pour empêcher celui-ci de fleurir. Martineau et Bock-Côté sont tous deux de fervents défenseurs du contrôle social, comme l’entièreté des conservateurs/trices d’ailleurs, bien que parfois, cette velléité se cache derrière l’usurpation du concept de « liberté ». (Sur ce point précis, je vous réfère à mes articles précédents, mais disons simplement que ce sont généralement des tentatives de modération du contrôle social qu’illes perçoivent comme du contrôle social. Ça ne fait pas plus de sens que de prétendre que « ne pas tolérer l’intolérance c’est de l’intolérance », mais bon.) Et en tant que conservateurs (surtout Bock-Côté), ils sont idéologiquement très, très proches des Islamistes radicaux et protègent le même type de « civilisation » sexiste, violente, hiérarchisée, homophobe, etc. Pourquoi considèrent-ils donc l’excision comme une « pratique barbare »?
Ce qui est barbare
Il y a l’origine étymologique et l’usage courant. Le plus couramment, ce qui est « barbare » est brutal, violent mais surtout « immodéré » et non-normatif. Se battre, trop boire, faire une faute de politesse ou massacrer son prochain est « barbare ». Mais une musique peut aussi être barbare et un réflexe linguistique peut être un « barbarisme ». Toute violence n’est pas non plus unanimement qualifiée de « barbare ». La peine de mort l’est assez peu, la prison encore moins, le travail presque jamais. Dans beaucoup de cas, on peut cependant associer le « barbare » à une figure d’altérité (un étrange, finalement) jugée moins raffinée. Les Inuits qui mangent de la viande crue. Les homosexuels qui pratiquent la sodomie. Les jeunes qui tutoient les adultes. Et cette utilisation très commune rejoint assez bien l’origine étymologique bien connue:
chez les Grecs, βάρϐαρος visait simplement à qualifier tout ce qui n’était pas grec. Bar-bar est sans doute une onomatopée visant à imiter le son d’une langue étrangère.
On en revient au rituel (magique) d’exécration : pour plusieurs, dire qu’une pratique n’est pas acceptable – et même si on utilise 1000 synonymes par la suite – ne suffit jamais. Il faut toujours affirmer tout haut qu’elle n’est « pas nous », peu importe le niveau d’incohérence de cette prétention. Dire que quelque chose est barbare, c’est montrer du dégoût pour l’autre, rejeter toute similitude, toute responsabilité, tout lien. Cette distanciation est importante pour marquer la différence entre le « nous » et des ennemi-e-s, mais elle l’est encore plus pour gommer les ressemblances. Beaucoup ont entendu parler de la fameuse étude qui suggère qu’on observe un zèle particulier chez les homophobes qui ressentent une excitation lorsqu’ils sont mis en contact avec de la porno gaie. Cela ne fait pas moins de l’homophobie un phénomène largement hétéro, mais ça pourrait contribuer à nous faire comprendre pourquoi des ordures machistes en viennent à condamner l’excision.
En bons civilisés, ils répriment leurs désirs. Et ils condamnent la pratique parce qu’ils la veulent.
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[1] Une exception notable : chez les Jukun du Nigeria, entre autres, traditionnellement c’était le roi qui était mis à mort. Mais comme dans plusieurs autres sociétés, une victime « de substitution » a fini par remplacer le souverain. (Luc de Heusch, ÉÉ, no 6., Soleb, 2004, p. 150.)
Saint-Jean: le symbole et au-delà
by Umzidiu Meiktok on Juin.25, 2017, under Culture, Géneral
À peu près tout le monde a vu le vidéo du char allégorique d’Annie Villeneuve à la Saint-Jean de Montréal. Beaucoup ont souligné le pouvoir du symbole évoqué par des hommes racisés, vêtus de guenilles et poussant le char, accompagnés d’un choeur immaculé de personnes blanches. Plusieurs en ont profité pour introduire la notion de « colorblind racism », qu’on pourrait traduire par « indifférence raciste ». C’est-à-dire: la tendance, surtout chez les personnes du groupe dominant, à ne pas prendre en considération le vécu des personnes racisées, en prétextant souvent qu’elles ne font « pas la différence » entre les couleurs de peau. Si vous n’avez toujours pas visionné le vidéo, le voici. Il provient de la page Facebook de Félix Brouillet.
Le symbole
Évidemment, il s’agit d’un accident. Joël Legendre, metteur en scène de la parade, n’a pas volontairement et consciemment voulu représenter des esclaves africains poussant le navire grinçant du nationalisme québécois.
Les jeunes n’en ont peut-être pas eu conscience non plus. Imaginez à présent leur malaise.
Cela ne réduit évidemment pas l’intensité de la bévue. Comme dans toutes les histoires de blackface des dernières années, et dans lesquelles les intervenant-e-s du milieu de la culture ont offert une performance pathétique (Marilou Craft a récemment très bien résumé la situation à Icitte), on s’étonne de l’absence de sensibilité vis-à-vis des groupes racisés, autant que de la sursensibilité vis-à-vis de la critique. Rappelons par ailleurs qu’il y a eu plus de 4000 esclaves au Québec entre 1650 et 1834. Marcel Trudel les a recensé-e-s il y a déjà longtemps. Connaissant les limites de la méthodologie, je sais qu’on ne peut revoir ce nombre qu’à la hausse. Dans le cadre d’un évènement qui vise donc à glorifier le 375e de Montréal, foyer historique de plusieurs centaines d’esclaves, cette représentation est d’une incroyable ironie: on montre accidentellement ce qu’on a essayé de cacher.
Si vous n’y voyez pas de scandale, je vous suggère de réfléchir à cette analogie : et si, dans une parade pan-canadienne, on demandait accidentellement à des Québécois-es de porter des sceaux remplis de l’eau des deux Océans, afin de représenter la devise de la fédération? Je suis certain que l’importance du symbole n’échapperait à personne. Plusieurs y verraient une allusion aux « porteurs d’eau », une vieille insulte raciste visant les Canadiens-français. On ne peut baisser les yeux devant ce genre de mise en scène, même si le sens échappe aux créateurs/trices.
Mais il y a quelque chose de plus choquant que le symbole lui-même.
Un hasard qui n’en est pas un
On sait que la discrimination à caractère raciste a des effets profonds sur la situation financière et sociale des personnes racisées au Québec. Il est notamment plus difficile de se faire valoir auprès des employeurs/euses, plus difficile de signer un bail. Les personnes racisées, diplômées ou pas, enthousiastes ou pas, sont donc proportionnellement plus nombreuses à accepter des mauvaises jobs et galèrent à trouver un logement décent. Ces difficultés se répercutent dans le taux d’emploi, le revenu moyen, etc. Même à Montréal, ce temple de la tolérance. Je l’ai très bien constaté moi-même à l’automne dernier, alors que je cherchais désespérément une nouvelle source de revenus. Plus l’emploi pour lequel je postulais était bien payé, et plus les employé-e-s appartenant à des « minorités visibles » étaient rares. C’est un fait: à Montréal, il y a peu ou pas de Noir-e-s en haut de 14$ de l’heure.
J’ai fini par me faire embaucher dans un centre d’appel, une job au salaire minimum : plus de 80% des employé-e-s appartenaient à des « minorités visibles ». La plupart de ceux et celles à qui j’ai parlé étaient diplômé-e-s et s’exprimaient dans un français impeccable.
Au premier jour de ma formation, j’ai entendu les boss hurler après une employée. Ces gens-là savent que leur main-d’œuvre ne peut pas se permettre de perdre une job même minable, et ils multiplient les abus.
Le milieu culturel est similaire. Encore une fois, selon les données amassées par Marilou Craft : « 56 % des Montréalais sont nés à l’étranger ou ont au moins un parent né à l’étranger. Toutefois, selon un recensement du Conseil québécois du théâtre (CQT), dans la saison théâtrale montréalaise 2014-2015, la proportion de contrats attribués à des artistes dits de la « diversité » ou autochtones était de 10,5 %. » La chanteuse Elena Stoodley faisait un constat encore plus scandaleux : « Les Québécois quittaient littéralement la salle quand je chantais. »
Les organisateurs/trices de la parade de la Fête nationale ont cru faire un bon coup en invitant des équipes sportives d’une école secondaire défavorisée. Le contraste n’était pas intentionnel.
Mais il n’y a pas de « hasard » dans le fait de voir autant des jeunes personnes racisées dans les écoles pauvres. Il n’y a pas de « hasard » dans le fait de voir presque uniquement des blancs/anches sur le dessus des chars allégoriques. Il n’y a pas de hasard dans le fait de reléguer les personnes racisées au rôle de porteurs d’eau dans nos manifestations culturelles.
UQAM et « liberté académique »
by Umzidiu Meiktok on Mai.13, 2017, under Géneral
Vers 2007-2008, les ailes jeunesses des trois plus grands partis politiques provinciaux ont organisé un débat à l’Université de Montréal. Comme j’étais déjà un-e sale anarchiste à l’époque, j’ai joint mes efforts à d’autres militant-e-s d’extrême-gauche, qui avaient par ailleurs, pour la plupart, une très mauvaise réputation.
Comme ni Québec Solidaire, ni le Parti Vert n’avaient été invités, pas mal de monde avaient déjà un a priori négatif. L’université est en théorie un lieu d’échange d’idées, pas de votes, non? La règle qui prévaut ailleurs (pas de député, pas de droit de parole) ne semblait pas adaptée au débat, étant donné que QS et le PVQ occupaient réellement un espace intellectuel, à défaut d’occuper des sièges à l’Assemblée.
Difficile de dire si c’est cette exclusion qui a poussé certain-e-s d’entre nous à distribuer des tracts « élections, piège-à-cons » à l’entrée de l’auditorium. Peut-être que nous aurions mis nos énergies ailleurs si la formule du débat avait été moins insultante. Mais étant pour la plupart globalement critiques de la classe politique, on aurait pas davantage applaudi l’inclusion d’autres jeunes politicien-ne-s.
L’ambiance n’était absolument pas tendue devant l’auditorium. Les tracts étaient distribués, les gens entraient, tout le monde est resté poli. Pourtant, quelques minutes à peine après l’ouverture de la salle, des flics faisaient irruption et « intervenaient » auprès de mes camarades de l’époque. Un des militants haut-placés d’un parti politique (vraisemblablement l’ADQ) s’était en effet senti « intimidé », ou avait eu peur de se faire entarter; ses raisons n’ont jamais été claires. Les gauchistes de l’UdeM avaient l’habitude de se faire brasser : iels ont obéi aux directives de la police.
Plus tard, juste avant la fin du débat, un militant du PLQ, qui me prenait pour un-e autre, a posé son agenda sur ma table et m’a chuchoté à l’oreille : « Tu poseras cette question-là au représentant du PQ. » Il avait griffonné quelque chose à la hâte au sujet d’une erreur de grammaire. « Si vous êtes si bons dans la défense du français, comment se fait-il que… ». Une question de mauvaise foi et complètement imbécile. Je sais pour l’avoir expérimenté que le PQ utilisait des stratégies similaires. La hiérarchie des partis politiques contrôlait avec soin la période de questions des conférences et débats, noyautait les salles comme elle pouvait. Je doute que ça ait changé.
Il y eut quand même quelques imprévus. Un militant de gauche, avant de poser sa question, a relevé l’absence de Québec Solidaire (le connaissant, ça m’étonnerait qu’il ait été membre du parti). Mais son micro a été coupé après quelques secondes seulement. Réduit au silence, il s’est contenté de lever les bras en signe d’incompréhension, avant de les laisser retomber.
Cette dynamique n’était pas exclusive à l’axe PQ-PLQ-ADQ/CAQ. Quand Ségolène Royal a visité l’UdeM à la même époque, une représentante de ATTAC-Québec, qui figurait pourtant sur la liste d’invité-e-s, avait été refusée à l’entrée. Apparemment elle était trop mal habillée. L’évènement avait été organisé par le CÉRIUM, dirigé à ce moment-là par Jean-François Lisée. À la décharge de celui-ci, quand je lui ai raconté l’histoire au téléphone, il semblait passablement scandalisé.
Au cours de la même période, un Carabin a également distribué deux grands coups de poing à des amis venus faire respecter une levée de cours lors d’une grève (de seulement une semaine). Une des deux victimes a été expulsée de l’Université, notamment à cause d’une opération de délation menée au sein même du département. De ce que l’on sait, l’agresseur n’a subi aucune conséquence – cette grosse brute doit enseigner Univers Social dans une école secondaire, à présent. Une collègue, plus tard, a aussi affirmé que nous – c’est-à-dire toutes, tous les militant-e-s de gauche impliqué-e-s dans cette grève très pacifique – avions maintenant une note à notre dossier. Je n’ai jamais osé vérifier.
Je ne vivais pas ces confrontations comme étant nécessairement des moments de violence extrême (à part l’expulsion de mon ami). Mon sommeil n’était pas troublé et mon niveau de stress était acceptable. Mais quand je souhaitais réserver un kiosque d’information pour parler de la gratuité scolaire et d’autres enjeux progressistes, je me souviens que j’avais pris l’habitude de faxer ma demande avec le papier en-tête d’un autre organisme, et d’inventer des prétextes comme la « Fête du printemps » et le « Pentathlon de l’Amitié ». Et quand des militant-e-s de l’extérieur venaient nous aider à « mobber », iels étaient plus souvent qu’autrement catastrophé-e-s par la vitesse à laquelle les affiches de l’ASSÉ disparaissaient (parfois plus de 70% au cours de l’après-midi même de l’affichage).
Quand la répression a pris des proportions extrêmes en 2012, j’étais à l’UQAM depuis longtemps, et je n’étais absolument pas étonné-e. Des professeur-e-s arrêté-e-s, forcé-e-s de donner leur cours par un agent de sécurité de la Best? Des étudiant-e-s profilé-e-s et menotté-e-s alors qu’illes ne faisaient que boire du thé en étudiant? Affreux, mais pas étonnant. D’autant plus qu’à l’époque, la loi spéciale (le fameux projet de loi 78) interdisait non seulement la grève, mais aussi l’incitation à la grève et «l’omission» de ne pas inciter à cesser la grève. Une vraie de vraie atteinte à la liberté d’expression. Mais pas une atteinte exceptionnelle. De fait c’était assez normal, et pas du tout en rupture avec le passé. Au Québec (et un peu partout ailleurs), quand on défend des idées de la gauche radicale, on sait jamais ce qui nous pend au bout du nez. Prendre la parole est risqué. Il se passe rarement une année pendant laquelle nous n’ayons pas à défendre physiquement un évènement menacé par des racistes, des mascus, des transphobes, la police ou autres. Qu’on vienne tenter de nous donner des cours sur la liberté d’expression est un peu risible.
Et s’il s’avère que les universitaires réacs du Québec vivent dans la peur – j’en doute, malgré leur impressionnante capacité à avoir peur de tout – eh bien j’ai une bonne nouvelle à leur annoncer : nous vivons tous et toutes dans la peur mutuelle. Nous avons peur de la répression. Iels ont peur d’être contredit-e-s. J’imagine que ça s’équivaut. Quant à la soi-disant liberté académique, elle a toujours senti le moisi.
Au Festival du Jamais Lu, Marcos Ancelovici a déclaré que quand on censurait vraiment quelqu’un, on ne l’invitait pas sur tous les plateaux pour en parler le lendemain matin. C’est vrai si on parle du cas du Chili de Pinochet, auquel il faisait référence. Mais en 2010, quand je suis sorti-e de la prison du G20 de Toronto avec des dizaines d’autres manifestant-e-s, des journalistes du Star et de CBC/SRC attendaient déjà devant la grille. Il peut arriver que la censure ait un effet contraire. On peut alors souvent parler d’Effet Streisand. Et le cas de censure n’a pas besoin d’être véridique pour que les principaux/ales acteur/trices fassent du millage dessus. Par exemple, la fameuse conférence transphobe de Rhéa Jean n’a pas été perturbée aussi violemment qu’elle aime le répéter partout. Et dans le cas de Mathieu Bock-Côté, le panel a été annulé par l’organisateur sans qu’il n’ait reçu de menaces. Il l’a dit et redit lui-même, mais c’est le polémiste qu’on a écouté. Même Normand Baillargeon parle encore d’une «conférence interdite». À quelqu’un qui lui parle d’une manifestation néo-nazie en Europe, il répond:
Toutes proportions gardées, MBC a retenu plus d’attention au Québec que la tentative de censure du Forum Social Mondial de Montréal, marquée notamment par la diffamation politicienne, le rejet des demandes de visas de centaines de participant-e-s (dont Aminata Traoré) et la violence de la LDJ, une organisation d’extrême-droite. Et évidemment, on a pas ironisé, à ce moment-là, en disant que les censeurs ne faisaient que donner plus de visibilité aux évènements en s’y attaquant. Parce que tout le monde ne bénéficie pas de l’Effet Streisand. Et que les victimes qu’on a tendance à croire satisfont souvent à certains critères bien précis.
Le double-standard et la fabulation sont donc au centre du discours concernant la liberté d’expression dans nos université (mais surtout, voire exclusivement à l’UQAM). Des rumeurs d’origine largement – mais pas que – conservatrice parlent d’un inquiétant phénomène de censure sur les campus états-uniens. Il n’en faut pas plus pour qu’on cherche ici les symptômes manifestes d’une contamination. Et qu’on hurle à la mort au premier récit délirant qui semble la confirmer. Personne n’a cru bon de chercher à savoir, dès le départ, si la situation était si désespérante aux États-Unis, et si le portrait qu’on se fait de l’état de la liberté académique chez nos voisins du sud est réel ou déformé par la distance et la caricature médiatique.
Tout aussi déprimant : la responsabilité des anarchistes là-dedans. Évidemment, beaucoup d’anars sont dogmatiques. Ni plus ni moins que le premier venu. Mais parler de radicalisation? Ayant perturbé ma première conférence (de presse) vers 2004, est-ce que j’étais déjà radicalisé-e à l’époque? Et quoi dire de notre influence presque totalitaire sur les campus, si aigüe que les profs craintifs/ives s’autocensurent avant même qu’on ait l’occasion de le faire? Je ne savais pas qu’on représentait une telle force.
Liberté de parole et populisme xénophobe
by Umzidiu Meiktok on Mai.04, 2017, under Géneral, Politique
Pour une fois, ce sera très court.
1. Je synthétise une bonne partie de mes textes précédents sur le sujet : une participation à un panel universitaire est une forme de légitimation, ça donne de la crédibilité, ça paraît bien dans un C.V. et ça permet de réseauter. S’exprimer à l’université donne de l’INFLUENCE. Si une personne se sert de son influence pour stigmatiser et déclencher de la violence envers des groupes opprimés – même sans incitation directe et claire – eh bien il faut la désinviter.
2. Si tu dis des trucs intolérants, tu es de facto contre la liberté d’expression et donc en situation de paradoxe. Viens pas me faire chier.
3. La liberté de parole est revendiquée depuis longtemps par des gens qui ne tolèrent pas que certains groupes existent. Vous devinerez jamais comment s’appelait le journal de Drumont, pamphlet antisémite français très populaire à la fin du XIXe siècle et au début du XXe.
Les conneries que les racistes sortent ces temps-ci au sujet de la liberté ne m’émeuvent donc pas. Leur confusionnisme[1] non plus. Ce qui m’amène au point suivant.
4. Les racistes du début du XXe siècle avaient leurs propres équivalents de « islamo-gauchiste » et de toutes les variantes de « millionnaire saoudien ». C’était « juif communiste »[1] et « banquier juif ». Ces deux groupes aux intérêts ultimement opposés étaient à l’époque supposément réunis au sein d’un même complot, imaginé surtout à partir d’un document connu sous le nom de Les Protocoles des Sages de Sion (un faux). Cette manière très commode de mettre tous les ennemis de l’ordre conservateur blanc dans le même camp, c’est exactement celle qu’utilisent les xénophobes d’aujourd’hui, en prétendant par exemple que QS (juif-communiste/islamo-gauchiste) est secrètement allié au PLQ (banquier-juif/millionnaire-saoudien).
Et quoi faire quand on a le choix entre des muzz transgenres communistes et des banquiers muzz ? Il existe une alternative, et c’est pas le centre. C’est l’extrême-droite non pardon je veux dire la «troisième voie». Elle permet en théorie de joindre au racisme une posture à la fois antiélitiste et anticommuniste. En pratique, ça donne plutôt un mélange des meilleurs côtés de Staline, de Pinochet et de l’Inquisition espagnole[3].
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[1] Illes avaient plus ou moins le même profil que les « Francs-maçons ».
[2] Pour citer d’autres anars: « Le confusionnisme politique est le fait que des courants conservateurs et réactionnaires, appartenant à la sphère de l’extrême droite, s’approprient et utilisent des thématiques habituellement portées par des courants situés à l’opposé de l’échiquier politique. Ils investissent ainsi les terrains de luttes de leurs opposant·e·s politiques (anticapitalisme, écologie, critique des religions…), en utilisant une rhétorique qui leur est proche, pour servir en réalité leur propre idéologie. »
[3] Pas de point Godwin pour moi aujourd’hui mais le principe est là.