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La vengeance des porcs, onze ans plus tard
by Umzidiu Meiktok on Mar.12, 2020, under Géneral
En 2009, les cochons domestiques sont soudainement devenus l’ennemi public numéro 1. Car ces pauvres bêtes à la queue et aux oreilles mutilées, torturées à la matraque électrique, bourrées d’antibiotiques, concentrées dans des usines puantes et trucidées par millions méditaient depuis des lustres leur vengeance. Cette année-là et la suivante, le A H1N1 a fait des milliers de morts. Une tentative moins fructueuse que la grippe espagnole qui l’a précédée (aussi une grippe porcine, qui a anéanti entre 2,5 et 5% de la population humaine mondiale), mais les efforts restent louables.
Lors de cette pandémie, j’ai senti beaucoup plus d’exaspération que de terreur, notamment devant les théories de conspiration concernant le vaccin. L’incapacité de beaucoup à poser des gestes simples, tels que tousser dans son coude et se laver les mains me mettait également hors de moi. Mais aussi l’incapacité de faire le lien entre l’élevage industriel et les pandémies mondiales. Près de vingt ans après le SRAS, la population est encore convaincue qu’il est possible et même souhaitable d’élever de manière totalement aseptisée et au sein de poulaillers de la taille d’un Wal Mart deux cent mille volailles qui passent leur vie (heureusement courte) à se chier sur la tête.
J’ai eu une pensée pour ces oiseaux déplumés lorsque j’ai vu, tout à l’heure au Maxi, un homme blanc dans la soixantaine déposer huit paquets de cuisses de poulet sur le tapis roulant et passer tout près de la crise de nerfs en raison de l’absence de la caissière, partie chercher deux nouvelles caisses de papier-cul à 5$.
La nouvelle crise n’est pas fondamentalement différente des précédentes : elle est (fort probablement) causée par notre empiètement sur les milieux naturels, notre tendance à vouloir toucher des animaux vivants et manger des animaux morts. Reste à connaître le responsable. Serait-ce une caresse faite au paisible pangolin, victime massive de braconnage en Chine? Ou à la chauve-souris, dont les populations nord-américaines ont été décimées par l’introduction (vraisemblablement par le biais de l’être humain) d’un champignon?
Le comportement au mieux insouciant de nos sociétés envers la nature est le reflet parfait du sort qu’on réserve à nos congénères humains. Le surtourisme, qui cause la dégradation du milieu de vie de millions de locaux, est un problème en soi. Mais ses conséquences sont d’autant plus visibles maintenant qu’il est définitivement relié à la propagation de la Covid-19. On alléguait[1], il y a quelques jours, que des Européen-ne-s tentent d’ailleurs de fuir leur pays et de menacer l’Afrique, jusqu’à maintenant relativement épargnée par la pandémie. À Paris, un match de soccer étant joué en huis-clos, les fans ont décidé de se masser à l’extérieur du stade. Et que dire de la réaction totalement irresponsable des États-Unis, où des citoyen-ne-s ont dû payer, au cours des dernières semaines, plus de mille dollars pour se faire tester?
Une journaliste de Radio-Canada demandait naïvement, ce matin, si elle devait annuler son voyage au Mexique, prévu pour la fin du mois. L’argument qui semble avoir le plus atteint son but est une variante semi-sérieuse de « si tu fais ça, tu risques de devoir passer quatorze jours en isolement, et sans Wifi ». Ça tient d’une logique aussi idiote que celle qui fut à l’origine de la croisade historique de vacanciers/ères contre la météo. Rappelons qu’à l’automne dernier, les passagers/ères d’une croisière avaient collectivement fait la danse du bacon afin de dénoncer leur expérience infernale, marquée par de la pluie et du vent. Même publiquement, c’est encore visiblement de bon ton de se plaindre de ses vacances gâchées par la mort appréhendée de milliers de personnes.
Pauvre, pauvre petite bourgeoisie qui ne pourra pas assister au dernier match du Canadien, partir en croisière dans les Caraïbes et se faire dorer sur une plage de République dominicaine pendant qu’en bas on meurt. Pauvre classe moyenne, déjà menacée il y a quelques temps par une pénurie de Jell-O et de ketchup, à nouveau contrainte dans ses habitudes de consommation. Voir tout ce magnifique univers tourner, dans la panique ou dans l’insouciance, me donne envie de me transformer en cochon domestique.
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[1] J’appuie sur ce verbe car les sources ne semblent pas totalement fiables.